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Insuffisance(s) rénale(s)

Les atteintes rénales de la sarcoïdose sont rares mais elles peuvent évoluer vers une insuffisance rénale. Les deux mécanismes les plus fréquents sont la néphropathie tubulo-interstitielle et l'insuffisance rénale aiguë hypercalcémique.

 

Nous rapportons le cas d'une patiente qui a présenté ces deux types d'atteinte.

La sarcoïdose est une granulomatose systémique de cause indéterminée. L'atteinte la plus fréquemment rencontrée est endothoracique, parfois associée à une atteinte extrathoracique.

Les manifestations extrathoraciques sont rarement isolées. Les atteintes rénales sont rencontrées dans moins de 10 % des cas, et sont rarement responsables d'une insuffisance rénale. Elles sont le plus souvent favorisées par les anomalies du métabolisme calcique. L'hypercalcémie et/ou l'hypercalciurie peuvent agir en entraînant, de façon aiguë une hypovolémie, ou, de manière chronique une néphrocalcinose ou une lithiase urinaire.

 

La néphropathie sarcoïdosique, tubulo-interstitielle, est moins fréquente, alors que les glomérulopathies sont très rares.

Nous rapportons le cas d'une patiente suivie pour une sarcoïdose médiastino-pulmonaire qui a présenté 2 épisodes successifs d'insuffisance rénale aiguë (IRA) : le premier lié à une granulomatose rénale, le second favorisé par une hypercalcémie.

Observation

Mme V, âgée de 64 ans, présente au début de l'année 1998 une dyspnée d'effort progressive. Elle n'a pas d'antécédent particulier. L'état général est bon. L'auscultation pulmonaire révèle des râles crépitants secs en fin d'inspiration, prédominants à la base gauche. Le reste de l'examen est sans particularité.

 

L'hémogramme et le bilan biochimique, ainsi que l'électrocardiogramme sont normaux ; les gaz du sang objectivent une hypoxémie à 69 mm Hg, une hypocapnie à 26 mm Hg et un pH à 7,50.

 

La radiographie thoracique montre une opacité périphérique basale gauche. Les D-dimères (technique ELISA) sont positifs. Devant l'hypothèse d'une embolie pulmonaire, une angio-tomodensitométrie thoracique est réalisée.

 

Elle ne retrouve pas de thrombus artériel pulmonaire jusqu'au plan sous segmentaire, mais elle montre des adénomégalies hilaires bilatérales, une condensation pulmonaire spiculée de 25 mm de diamètre, et un syndrome interstitiel micronodulaire bilatéral ( fig. 1).

 

L'exploration fonctionnelle respiratoire est normale, en dehors d'une réduction du coefficient de transfert du monoxyde de carbone à 66 % de la valeur théorique.

 

La fibroscopie bronchique, les biopsies bronchiques, le liquide de lavage broncho-alvéolaire et la biopsie transbronchique au niveau du lobe inférieur gauche sont normaux.

 

Une ponction transthoracique sous contrôle TDM de l'opacité lobaire inférieure gauche permet d'affirmer le diagnostic de sarcoïdose pulmonaire en montrant à l'étude anatomopathologique des granulomes épithélio-giganto-cellulaires sans nécrose caséeuse, avec tendance fibrosante. La coloration de Ziehl est négative.

 

L'examen ophtalmologique est normal. Au vu de ce bilan, une surveillance est préconisée.

Trois mois plus tard, la patiente se présente aux urgences de l'Hôpital pour une altération de l'état général, une fièvre à 38,5°, une diarrhée cholériforme et une majoration de sa dyspnée depuis 15 jours suite à un voyage en Espagne.

 

A son admission, elle est sous CLAMOXYL depuis 2 jours. Elle ne présente pas d'autres signes digestif, respiratoire ou systémique. L'examen clinique ne met en évidence que des signes de déshydratation extra cellulaire. Le bilan biologique montre une insuffisance rénale avec une créatininémie à 297 µmol/l ; l'ionogramme sanguin, la calcémie, l'hémogramme sont normaux.

 

La biochimie urinaire s'énonce ainsi : natriurése à 52 mmol/l, kaliurése à 7mmol/l, urée à 79 mmol/l, et la crétininurie à 2,7 mmo/l ; elle montre un défaut de concentration des urines, en rapport avec une néphropathie organique de type tubulaire. Il existe une proténurie des 24 heures à 0,5 g/24H ; les hémocultures, l'ECBU et la coproculture sont négatives. L'échographie rénale et des voies urinaire est normale, elle élimine notamment une cause obstructive.

 

La rectosigmoïdoscopie est sans anomalie, les biopsies rectales mettent en évidence des lésions de colite catarrhale non spécifique. La radiographie thoracique est inchangée, l'enzyme de conversion de l'angiotensine est élevée à 73 UI/l. Malgré une rééquilibration hydroélectrolytique par voie parentérale et une diurèse conservée, l'insuffisance rénale se majore rapidement (créatinémie à 766 µmol/l).

 

Ce tableau d'IRA organique motive le transfert de la patiente en néphrologie. Elle bénéficie d'une biopsie rénale qui montre des lésions interstitielles inflammatoires tuberculoïdes, considérées comme une sarcoïdose atypique devant l'absence de granulome ( fig. 2).

 

Le bilan immunologique comportant l'immunoélectrophorèse des protides plasmatiques, les dosages des facteurs antinucléaires, du facteur rhumatoïde, des facteurs du complément, des anticorps anticytoplasmes des neutrophiles (ANCA) est négatif. L'association quasi concomitante de lésions de sarcoïdose pulmonaire et de lésions de néphropathie interstitielle inflammatoire est en faveur d'une poussée de la maladie granulomateuse. La patiente bénéficie de quatre séances d'hémodialyse et d'une corticothérapie par voie générale à 1 mg/kg/jour.

 

Deux mois plus tard, elle est asymptomatique et sa créatinémie est à 180 µmol/l (clairance à 34 ml/minute).

Six mois plus tard, elle consulte son médecin traitant pour des dorsalgies. À cette date, elle est à 8 mg par jour de prednisone.

 

Par crainte d'une ostéoporose fracturaire, compte tenu des signes d'imprégnation cortisonique, il prescrit une supplémentation en dérivés de la vitamine D. Quelques semaines plus tard, elle présente une IRA hypercalcémique (créatinémie à 600 µmol/l, calcémie à 2,9 mmol/l) nécessitant une nouvelle hospitalisation en néphrologie.

 

Cliniquement elle présente un pli cutané et une pression artérielle à 100/65 mm Hg. Le bilan urinaire montre cependant un profil d'insuffisance rénale organique : natriurése à 95 mmol/l, kaliurèse à 22 mmol/l, urée à 162 mmol/l, créatinine à 3,8 mmol/l. L'échographie des voies urinaires est sans anomalie.

 

L'absence de spécifité de la première histologie rénale motive une seconde ponction biopsie rénale. Celle-ci retrouve des lésions tubulo-interstitielles avec des granulomes sarcoïdiques. La reprise d'une corticothérapie à 1 mg/kg/jour permet de juguler, en quelques mois, ce nouvel épisode.

En juin 2001, soit trente mois après le second épisode, la patiente présente une fonction rénale stable avec une créatininémie à 159 micromoles/l (clairance à 45 ml/mn). La corticothérapie est définitivement arrêtée.

Discussion

L'atteinte rénale de la sarcoïdose concerne moins de 10 % des patients souffrant de sarcoïdose. L'insuffisance rénale est cependant beaucoup plus rare (< 1 %), et elle peut aussi bien émailler l'évolution de la sarcoïdose qu'être révélatrice de la maladie [2].

 

Cette atteinte rénale peut avoir 3 mécanismes :

L'atteinte tubulo-interstitielle dont une soixantaine de cas sont rapportés dans la littérature. Cette atteinte présente une prédominance masculine, et des pics de fréquence entre la 3ème et la 6ème décennie de vie. Ces patients peuvent présenter une IRA sans signe extra rénal de sarcoïdose, ce qui rend le diagnostic difficile.

 

Dans le cas contraire, les localisations extra rénales précèdent l'atteinte rénale de 4 mois à 9 ans, et l'insuffisance rénale survient alors dans un contexte de maladie multiviscérale floride [3]. Dans tous les cas, l'IRA est d'évolution rapidement progressive. Dans ce cas clinique, il s'agit d'une patiente de 64 ans qui était suivie depuis seulement trois mois pour une sarcoïdose pulmonaire.

Sur des séries autopsiques de patients atteints de sarcoïdose, la prévalence des granulomes rénaux sarcoïdosiques varie de 7 à 30 % selon les études [3] [4]. L'étude anatomopathologique peut révéler soit un infiltrat lymphocytaire et macrophagique interstitiel, soit des granulomes sarcoïdiques, les glomérules et les vaisseaux étant intacts dans les deux cas. Les éléments biologiques en faveur de ce diagnostic sont peu spécifiques : il s'agit essentiellement des anomalies du sédiment urinaire (leucocyturie abactérienne ; protéinurie ; hématurie).

 

Dans la pratique courante, le bilan rénal doit comporter la créatininémie, la calcémie, la calciurie des 24 heures et l'ECBU. En cas d'insuffisance rénale normo-calcémique, la ponction biopsie rénale s'impose.

Sur un plan thérapeutique, la néphropathie tubulo-interstitelle nécessite une corticothérapie à 1 mg/kg/jour pendant deux mois, puis une décroissance sur une durée minimale de douze mois. L'évolution initiale est le plus souvent favorable, sauf en cas de retard de traitement ou l'insuffisance rénale chronique est habituelle. Les effets rebonds sont fréquents, souvent en dessous de 8 mg/jour de prednisone [5].

 

Dans l'étude de Guenel et coll. [6], sur douze patients dont l'évolution à long terme a pu être mesurée, seuls trois patients retrouvaient une crétininémie inférieure à 150 µmoles/litre, cinq gardaient des valeurs entre 150 et 200 µmoles/litre, et quatre avaient des chiffres au delà ;

— L'atteinte rénale la plus fréquente est liée aux troubles du métabolisme phosphocalcique. L'hypercalcémie se rencontre chez 10 à 15 % des patients atteints de sarcoïdose et l'hypercalciurie est trois fois plus souvent observée. Ces troubles métaboliques sont dûs à l'hydroxylation de la vitamine D par les macrophages des granulomes sarcoïdosiques.

 

Ils peuvent être responsables d'une diminution de la filtration glomérulaire et de la fonction tubulaire, ou plus rarement d'une néphrocalcinose (3 à 5 %) ou encore d'une lithiase calcique des voies urinaires avec insuffisance rénale obstructive (10 %) [7]. Le diagnostic de néphrocalcinose est suggéré par les calcifications du parenchyme rénal visualisées à l'échographie ou à la tomodensitométrie abdominale sans injection. Il peut être confirmé par l'histologie rénale si elle montre des dépôts calciques. L'insuffisance rénale obstructive lithiasique est évoquée par l'échographie rénale.

Dans cette observation, le bilan phosphocalcique initial était normal. L'hypercalcémie est favorisée ultérieurement par la prise de dérivés de la vitamine D qui augmentent l'absorption digestive et la réabsorption tubulaire rénale de calcium. La normalité de l'échographie des voies urinaires permet d'éliminer une cause obstructive ; elle est également peu en faveur d'une néphrocalcinose. La seconde biopsie rénale affirme le diagnostic de granulomatose sarcoïdosique rénale mais elle ne montre pas de dépôts calciques.

Dans les études de Mac Curley [1]et de Hannedouche [4], les auteurs rapportent aussi trois cas (respectivement les cas quatre, cinq et six) d'IRA hypercalcémiques sur une néphropathie granulomateuse sans signes de néphrocalcinose. Dans tous les cas, la disproportion entre les hypercalcémies relativement modérées et la sévérité de l'insuffisance rénale est frappante.

 

Dans l'étude de Guenel et coll. [6] portant sur 22 néphropathies interstitielles sarcoïdosiques, la néphropathie granulomateuse et la néphropathie liée aux troubles calciques sont souvent associées. En outre, l'IRA hypercalcémique dans la sarcoïdose est généralement plus sévère que celle que l'on peut constater, par exemple, dans les hypercalcémies par hyperparathyroïdie.

 

Cela pourrait être en faveur de la présence de lésions rénales sarcoïdosiques infra-cliniques. Ainsi l'hypercalcémie est dans un certain nombre de cas, comme ici, le facteur déclenchant d'une insuffisance rénale qui survient sur une néphropathie granulomateuse pré-existante.

Le traitement spécifique de l'hypercalcémie ou de l'insuffisance rénale hypercalcémique dans la sarcoïdose est la corticothérapie par voie générale, à faibles doses (0,3–0,5 mg/kg/j). Le pronostic est généralement très bon et l'insuffisance rénale réversible [8].

 

L'administration de calcium et de dérivés de la vitamine D est contre-indiquée dans tous les cas ;

— Le troisième mécanisme, beaucoup plus rare, est la néphropathie glomérulaire. La glomérulonéphite extramembraneuse est celle qui est le plus souvent décrite. Ce type de lésions est beaucoup plus rare, le pronostic est variable, et le traitement n'est pas standardisé [9].

Cette observation permet de discuter les différentes étiologies d'IRA rencontrées au cours de la sarcoïdose. Elle souligne également

 

  • l'importance de la surveillance de la fonction rénale, de la calcémie et de la calciurie des 24 heures chez un patient atteint de sarcoïdose,

  • la contre-indication de la supplémentation en calcium et dérivés de la vitamine D chez ces patients.

[1]

Mc Curley T, J Salter, Glick A: insufficiensy rénale dans la sarcoïdose. Arche Pathol Lab Med 1990; 114: 488-92.

[2]

Meysman M, J Sennsael, Vanderniepen P, Vanden Honte K, Pierre E, Verbeelen D: insuffisance rénale chez sarcoïdose. Rapport de cas de néphrite interstitielle granulomateuse et examen de la litterature. Acta Belg Clin 1993; 48 (2): 115-18.

[3]

Cruzado JM, Poveda R, Mana J et coll. : Néphrite interstitielle dans la sarcoïdose: multiviscérale implication simultanée sur . Am J Kidney Dis 1995; 26: 947-51.

[4]

HANNEDOUCHE T, Grateau G, Noel LH et coll. : Sarcoïdose granulomatose rénale: Rapport de six cas. Nephrol Dial Transplant 1990; 5: 18-24.

[5]

Takayuki T, Shigeaki K, Yasuhide N, Takasi E, S Sei: sarcoïdose avec néphropathie membraneuse et la néphrite interstitielle granulomateuse. Intern Med 1999; 38 (11): 882-6.

[6]

Guenel J, Chevet D : Néphropathies interstitielles de la sarcoïdose. Effets de la corticothérapie et évolution à long terme. Etude rétrospective de 22 observations. Néphrologie 1988; 9: 253-7.

[7]

Akmal M, Sharma O: sarcoïdose rénale; un rappel. Poitrine 1997; 6: 1284-5.

[8]

Duvic C, Herody M, Rossignol P, Lecoules S, Didelot F, Nedelec G : Les manifestations rénales de la sarcoidose. A propos de neuf observations. Rev Méd Interne 1999; 20: 226-33.

[9]

Veronese FJV, Azevedo H, Faccin CS et coll. : Sarcoïdose pulmonaire et glomérulosclérose segmentaire et focale: rapport de cas et le suivi de la transplantation rénale. Nephrol Dial Transplant 1998; 13: 493-5.

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